Depuis plusieurs mois, au sein de l'Institut AOS, j'ai eu le privilège de fournir des services de soutien psychosocial aux personnes victimes d'actes criminels au Québec (IVAC). Cette expérience m'a ouvert les portes de récits poignants, révélant les luttes intérieures de personnes confrontées à l'adversité, parfois depuis leur plus tendre enfance.
Mais comment se fait-il que, malgré des situations aussi graves, des années passées à s'oublier et à vivre souvent sous le poids d'une forme de culpabilité, ces personnes parviennent à retrouver le chemin de la réhabilitation et du droit d'exister ?
En tant qu'intervenants, comment pouvons-nous contribuer efficacement au processus de réhabilitation et d'émancipation des personnes ayant vécu des violences et des traumatismes ? De plus, quels sont les écueils à éviter afin de ne pas compromettre ce besoin fondamental d’être accueilli et respecté dans les souffrances vécues ?
L'approche orientée solution alignée avec les recherches en neurosciences sur les facteurs de résilience
La thérapie brève orientée solution, et sa posture de non savoir et de non expertise, trouve parfaitement sa place dans le traitement des chocs post-traumatiques et des traumas complexes, sa philosophie étant en harmonie avec les découvertes récentes en neurosciences qui ont effectivement mis en lumière des aspects liés aux risques de re-traumatisation lorsqu'on questionne directement le ou les événements vécus. En voici quelques principes de bases:
Réactivation du cerveau émotionnel
Interroger directement sur l'événement traumatique peut réactiver les zones du cerveau associées aux émotions fortes et au stress, comme l'amygdale. Cela peut entraîner une libération d'hormones du stress, contribuant à des réponses physiologiques et émotionnelles intenses.
Renforcement de la mémoire traumatique
Poser des questions détaillées sur l'événement peut renforcer la consolidation de la mémoire traumatique. Cela peut conduire à une représentation plus vive et persistante de l'événement dans la mémoire, rendant la personne plus susceptible de revivre les émotions traumatiques.
Reconstruction fragile de la réalité
Les personnes ayant vécu un traumatisme peuvent avoir une reconstruction fragile de la réalité autour de l'événement. Poser des questions détaillées peut perturber cette reconstruction et rendre la personne vulnérable à une expérience de re-traumatisation.
Activation du système de défense
Lorsqu'une personne est interrogée sur un événement traumatique, son système de défense peut être activé, entraînant des réponses de type « combat, fuite ou gel ». Cela peut contribuer à une perception accrue de menaces et à des réactions de stress.
L'approche orientée solution, où l'art de ne pas devenir un Evenementologue* !
Dans notre pratique de suivi psychosocial, nous accompagnons des personnes ayant été victimes d'actes criminels et bénéficiant d'une aide financière (IVAC) en lien avec ces incidents.
La seule information dont nous disposons au dossier, outre le nom et le prénom, est la date de l'événement, avec la mention spécifique que le suivi psychosocial doit être en corrélation avec celui-ci.
Vous pouvez imaginer la tentation de débuter notre première séance par la question habituelle : "Qu'est-ce qui vous amène ici aujourd'hui ?"
Mais en tant que praticien orienté solution, bien que le motif de consultation soit directement lié à l'événement traumatique, la relation thérapeutique se construit toujours en envisageant un futur espéré, c’est-à-dire trouver la destination de notre voyage thérapeutique.
En débutant ainsi les séances de travail et en gardant en tête la philosophie de l’AOS, il est facile de naviguer dans un espace conversationnel fait de résilience, de ressources actionnables, de petits pas, de stratégies adaptatives et de petites actions à réaliser.
Pour une Croissance Post-Traumatique, soyons des Résilientologues* !
Les questions du praticien en approche orientée solution ne sont pas neutres. Elles représentent l'outil principal pour susciter l'espoir chez le client et l'entraîner dans un récit inattendu, lui permettant de trouver une voie de réhabilitation. Nous n'interdisons pas à la personne de parler de l'événement traumatique si elle le souhaite, mais aucune de nos questions ne la pousse à raconter ou décrire les événements si cela ne vient pas d'elle.
Il m'est arrivé d'avoir des clients avec lesquels, après plusieurs séances, je ne connaissais toujours pas la cause de leur consultation. En revanche, je connaissais avec précision les stratégies adaptatives, les ressources mobilisées, les personnes-ressources et les petits talents qui leur avaient permis de surmonter ce moment difficile.
Le poids du silence dans les récits de traumatismes
Actuellement en France, le mouvement #MeToo et les témoignages d'actrices révélant des violences sexuelles subies depuis leur jeunesse dans le monde du cinéma soulignent que le plus difficile dans un traumatisme n'est pas forcément l'événement en lui-même.
Le traumatisme s'inscrit encore plus profondément du simple fait qu'il doit être passé sous silence, devenant un secret impossible à partager. Judith Godresh témoigne de la difficulté à parler à une époque où personne ne voulait l'entendre. Le poids du silence et les mécanismes d'inversion de la culpabilité semblent être plus violents que l'événement lui-même. (Replay de l'émission)
Nous comprenons ici que pour accéder à de tels récits, pour des personnes qui peuvent à peine les évoquer, il faut du temps et une relation de confiance bien établie avec le thérapeute. Toute tentative intrusive dans une réalité déjà meurtrie pourrait représenter une menace et un risque que nous ne voulons pas prendre au sein de l'Institut AOS.
Ce que demandent les victimes, il me semble, ce n'est pas nécessairement de décrire l'événement de manière détaillée, mais plutôt que celui-ci existe dans nos échanges, que son évocation ne soit pas interdite ou tout simplement remise en question.
Ne pas questionner l'événement traumatique ne veut pas dire ne pas y accorder de l'importance
Beaucoup de personnes nous interrogent dès le début de l'accompagnement sur la possibilité de ne pas nécessairement aborder l'événement traumatique, citant des situations où, au lieu d'apporter de l'aide, cette approche avait généré une souffrance supplémentaire.
D'autres expriment comme objectif pour l'accompagnement le fait de pouvoir un jour en parler pour se libérer de ce poids.
Dans les deux cas, ce que nous pouvons en déduire, c'est que la personne doit être libre de s'ouvrir (nature de l'événement, identité de l'agresseur, fréquence...) au moment qu'elle choisira et si elle en ressent le besoin.
Cela n'empêche pas l'intervenant de s'intéresser aux facteurs de croissance post-traumatiques en reconnaissant pleinement l'importance et la violence de l'événement.
Voici quelques questions utiles qui pourraient être posées et qui ne nécessite en aucun cas de connaître la nature de l'événement :
Au regard des situations terribles que tu as vécu, comment as-tu fais face pour continuer d'avancer ?
Où as-tu trouvé la force de ne jamais abandonner ?
Qui t'a aidé/soutenu dans le fait de ne pas sombrer ?
Conclusion
En optant pour l'Approche Orientée Solution (AOS), nous façonnons un accompagnement respectueux, évitant tout risque de souffrance supplémentaire pour les personnes. Notre engagement vers une certaine conception de la résilience et de la croissance post-traumatique se concrétise dans la construction d'une conversation axée sur les ressources à disposition et des petites victoires déjà réalisées.
Plutôt que de fouiller et chercher des explications dans un passé douloureux, nous choisissons de guider nos clients vers un avenir prometteur, honorant leur rythme et cultivant la confiance. Le questionnement orienté solution devient ainsi le phare qui illumine la voie vers la réhabilitation sans sacrifier la dignité, offrant une conversation centrée sur la transformation et l'autonomisation.
Si vous souhaitez en savoir plus sur nos services de psychothérapie et de suivi psychosocial, je vous invite à visiter notre site internet en cliquant sur le lien suivant :
*Voir la formation de Brigitte Lavoie sur Deuil et trauma, croissance post-traumatique, où elle utilise ces termes de résilientologue et d'événementologue.
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