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Changer de point de vue dans la pratique de l'accompagnement




L’approche orienté solution (AOS), un changement de posture au service du devenir des personnes

Aussi audacieux soit-il d’explorer l’inconnu, il l’est plus encore de remettre le connu en question

Walter Kasper

Cet article s’adresse à tous ceux qui ont choisi de travailler dans les métiers de la relation à l’autre (thérapeutes, travailleurs sociaux, enseignants, coachs…), les métiers dans lesquels il est question de poser un regard aussi bien sur la personne que sur la situation vécue par cette dernière.

Ce regard n’est bien sûr pas le même selon les lunettes que l’on utilise mais il devrait néanmoins toujours être au service de la relation à travers laquelle, la personne va mettre au travail son devenir.

Mais finalement, de quoi parle-t-on quand on dit changer de regard ? Quelle idée se fait-on de la réalité pour décrire ce que l’on voit ? Comment l’autre se regarde et se voit à travers le regard que nous choisissons de porter sur lui ? Y’ aurait-il un regard qui limite et un autre qui libère ?

C’est justement en regardant un film avec ma fille, « le retour de Mary Poppins » que m’est venu l’envie d’écrire cet article. Ce film est vraiment remarquable, aussi bien pour les grands que pour les petits, c’est une histoire de résilience, une ode à la vie et à l’espoir mais surtout une invitation à regarder nos situations ou plus globalement, le monde avec un regard différent.

A la fin de l’extrait : “le monde est devenu fou“, Marry Poppins chante ces paroles qui sont une belle introduction pour ce qui suis : « Quand la vie n’est pas rose, changer de point de vue arrange les choses ».

Nous essayerons donc dans cet article, de montrer qu’il est possible, en tant qu’accompagnant, de fabriquer ses propres lunettes et mettre au travail sa posture pour permettre aux personnes de changer de direction dans leur vie. Ou pour le dire autrement, de ne pas continuer sur la voie de leurs difficultés.


Bien choisir ses lunettes…

Il est souvent difficile pour les accompagnants de décrire les lunettes qu’ils utilisent pour accompagner. C’est-à-dire les références théoriques, les courants de pensées ou même les paradigmes dans lesquels s’inscrivent leur pratique. Je vous laisse réfléchir à cette question tout en vous proposant ici un choix de lunettes assumé qui est celui de l’approche orientée solution.

Cette approche trouve sa place dans le paradigme du constructionnisme social selon la définition qu’en fait Gergen* et s’inscrit dans la continuité du paradigme constructiviste mis en valeur et mieux compris à travers les travaux de l’école de Paolo Alto et notamment, les livres de Paul Watzlawick**.

La question de la réalité est centrale dans l’évolution des paradigmes qui influencent les sciences humaines et sociales et qui donne le sens à notre pratique de l’accompagnement. Il faut sans aucun doute s’y intéresser pour comprendre ce qu’il y a en jeu quand on parle de changer de regard car elle détermine la manière dont nous allons nous y prendre pour construire la relation avec les personnes accompagnées.

Un problème existe-t-il en tant que tel ? Avons-nous, en tant qu’accompagnant, suffisamment de recul et de savoir pour considérer qu’une maladie, un trouble ou un handicap existe réellement en dehors de la définition qu’il nous en est donné ? N’y aurait-il pas en fonction du contexte culturel, social et politique des différences qui remettraient profondément en question un diagnostic, une interprétation de notre part ?

Ainsi, en utilisant l’approche orientée solution, la situation de la personne n’est pas considérée comme quelque chose de fixe ou de figée en fonction des différentes classifications psychopathologiques et des listes de symptômes mises à notre disposition (DSM4).

Le patricien orienté solution ne fait donc pas de diagnostic et ne devrait pas avoir d’idées préconçues sur ce qui serait utile pour l’autre. Les seules choses qu’il peut savoir de sa réalité (sa situation) c’est ce qu’il va découvrir dans son récit grâce à la relation qui va se créer et aux questions qui vont être posées. Seul ce qui ressort de ces conversations est considéré comme utile dans la continuité de la relation d’accompagnement.

Il arrive très régulièrement qu’une personne en grande souffrance soit exclusivement focalisée sur le récit de ses difficultés et occulte complétement une partie de la réalité. Elle ne peut pas voir ou appréhender ce qui est pourtant sous ses yeux en matière de solutions ou d’opportunités. La description de cette réalité se fait par le langage avec un choix donné au fond comme à la forme, qui bien souvent dans ce genre de situation vient renforcer le problème « Je suis désespéré, je n’y arriverai jamais, j’ai tout essayé… ».

Sachant cela, le praticien orienté solution accorde à la personne une grande confiance, partant du principe que cette dernière fait de son mieux dans la situation qui est la sienne. De plus, s’il est possible pour elle de construire des récits de problèmes, il lui sera donc possible aussi de construire des récits de solutions.

En conclusion, avec l’AOS, le problème n’existe pas en tant que tel, il n’y a que des récits de problèmes. Quand une personne se présente à vous dans le cadre d’une relation d’accompagnement, tout ce qu’elle vous dit de ses difficultés, voir de sa pathologie n’est rien d’autre qu’un récit fait et construit en fonction de son contexte et de son histoire.

Vous pouvez agir sur ce récit et donc sur la situation de la personne en co-construisant avec elle de nouvelles représentations et donc un nouveau point de vue sur la situation.

Il existe bien sur de nombreuses techniques de conversation pour faire évoluer la relation que la personne entretien à son problème tout en restant dans une posture de constructeur de solution. L’approche narrative, voisine de l’ AOS, propose un outil d’externalisation du problème inventé par Mickael White* et qui permet à la personne de prendre du recul sur l’espace du problème. Nous aurons l’occasion dans un prochain article d’expliquer ces différents outils.

Ainsi, cette nouvelle grille de lecture sur les relations nous oblige à faire évoluer notre posture d’accompagnateur et à prendre en compte la complexité des situations qui se présentent à nous. Ainsi l’ AOS nous amène à déconstruire un bon nombre de nos croyances et à redécouvrir notre métier avec un souffle nouveau.

Une nouvelle façon d’être en relation afin que le désir de l’accompagnant soit au service du devenir et donc de l’émancipation de la personne. Le désir d’un explorateur qui souhaite voir de ses propres yeux, qui s’interroge sur le monde et qui souhaite découvrir dans chaque situation une réalité singulière qu’il participe à créer.

… pour voir ce qui ne se voit pas ?

Dans les formations à l’approche orientée solution, de nombreux exemples sont donnés pour montrer aux participants que notre rapport à ce que l’on décrit comme réel est influencé par de nombreux biais cognitifs et des contextes particuliers qui nous conditionnent à voir telles choses et à en occulter d’autres.

Le test du gorille invisible mis au point en 1999 par Chabris et Simons, deux chercheurs en psychologie cognitive de l’université Harvard, montre que lorsque notre attention est concentrée sur un seul élément, il peut nous arriver de ne pas remarquer d’autres éléments, même très évidents dans notre champ de vision.

Retrouvez cette vidéo et faites vous-même cette expérience en suivant ce lien :

Les deux chercheurs ont surnommé ce phénomène, la cécité d’inattention (inattentional blindness) qui nous amènent à une conclusion surprenante :

“Nous croyons que c’est par manque d’attention que nous ne voyons pas quelque chose, alors que c’est au contraire parce que nous sommes trop attentifs à une chose que nous n’en voyons pas une autre“.

Dans la pratique et dans les nombreux exemples que nous avons répertoriés, l’accompagnant et l’accompagné sont concernés par cette conclusion. En effet, il arrive souvent que la personne soit tellement focalisée sur ses problèmes qu’elle ne soit pas en mesure de voir les possibles opportunités. De son côté, il se peut que le praticien, trop focalisé à résoudre des problèmes, ne fasse plus appel à sa créativité pour faire émerger une nouvelle réalité.

Passer d’une logique de résolution de problème à une logique de construction de solution n’est donc pas seulement une pirouette sémantique, c’est surtout un changement profond de posture et de réflexion sur ce qui fonde les métiers de la relation.


Car la seule chose que l’on voit vraiment, c’est ce qui s’exprime au cœur de la relation

Pour changer de point de vue, il sera donc nécessaire de changer de place en acceptant de descendre (ou de monter) d’un étage pour se retrouver au même niveau que la personne accompagnée.

L’AOS ne peut exister sans la volonté de développer une relation de type horizontale, à la différence de la verticalité de la plupart des autres approches.

En effet, Il est plus habituel de regarder ou d’évaluer la situation de la personne par le prisme de ses connaissances et d’un savoir empirique en résumant la relation qui se crée à une question de position, celle de soignant à patient par exemple.

A l’opposé, Geregn, De Shazer, Berger, Luckmann et tous les auteurs du constructionisme social ont insisté pour démontrer qu’il était impossible de détacher l’accompagnant de la relation d’accompagnement. Le praticien s’engage dans un type de relation horizontale, dans laquelle il est aussi responsable que la personne accompagnée de ce qui se crée et se développe.


Pour le dire autrement, s’il devait exister une peinture au sujet de la situation de la personne, vous ne pourriez être l’Artiste à l’extérieur de la toile. Votre place serait au contraire dans la toile et par exemple, telle une mise en abime de ce qu’est la relation, vous pourriez être représenté sur cette dernière en train de peindre cette scène qui vous inclue en permanence dans ce que vous décrivez !


Tel un artiste et en suivant cette logique, De Shazer* dans un article devenu célèbre à fait disparaitre le principe de résistance pour le remplacer par le terme de coopération. Ce que nous regardons, ce n’est pas la situation de la personne de manière isolée, c’est bien le type de relation dans laquelle cette situation s’exprime : (Relation visiteur, relation plaignante, relation acheteur, relation co-praticien). Si la situation de la personne n’évolue pas, c’est que la relation qui s’est créée n’a pas permise ces changements. Les personnes accompagnées ne peuvent donc plus être perçues comme responsables de leur immobilisme par le biais du bien pratique argument : « Il est résistant au changement ! »

Pour quelle finalité ?

Erwan George, thérapeute et formateur de BRIEF International, aime à préciser que le rôle du thérapeute est d’être utile à la personne plus que de lui être aidante (to be usefull, not to be helpfull). Il part du principe que la place de la personne n’est pas dans le bureau de son thérapeute mais bien dans son groupe d’appartenance (famille, amis, travail…).

Il souhaite au maximum être utile quant aux résultats attendus par la personne.

Pour exemple, si cette dernière souhaite retrouver le chemin du travail, est-il vraiment nécessaire de connaitre les causes de son burn-out ? N’est-il pas plus utile de l’aider à trouver ce chemin et travailler à son devenir ?

Le fait de penser la relation comme une relation d’aide alimente une croyance très répandue en France et qui est loin d‘être un fait scientifique. Elle pourrait être résumé de la sorte : « Seul un long travail d’introspection et d’analyse de soi peu permettre de remonter à l’origine de nos problèmes pour en comprendre les causes et enfin nous en libérer. »

Au contraire, dans l’AOS, nous considérons que le fait de comprendre l’origine d’un problème ne le fait pas pour autant disparaitre.

En se plaçant dans une perspective de devenir de la personne, la finalité de l’accompagnement sera de lui permettre de se rapprocher d’un futur espéré. Celui-ci ne sera pas forcement en lien direct avec la disparation du problème.

Être utile plus qu’aidant, c’est faire le choix du minimalisme et se concentrer sur ce que nous dit la personne en étant persuadé qu’elle possède déjà en elle toutes les ressources nécessaires pour atteindre ses objectifs.

Le praticien orienté solution opère donc un ultime changement de regard sur la relation qui se crée avec la personne accompagnée. Un regard résolument tourné vers le futur et donc le devenir de la personne. Une différence qui fait une grande différence comme le dirait Steve De Shazer.

Pour finir…

Ainsi, être accompagnant devra donc passer par l’affirmation d’une identité professionnelle forte reposant sur des références théoriques choisies et sur la mise en réflexion de son parcours professionnel et personnel.

L’ AOS, de par sa philosophie, son éthique et ses résultats vise à se développer dans les métiers de l’accompagnement et notamment dans le champ du travail social, de la thérapie et du coaching.

Au final, changer de regard sur les personnes accompagnées ne serait-ce-t-il pas cette chance donnée à l’autre de pouvoir se voir et se réaliser différemment ?

Il y a des regards qui libèrent et d’autres qui limitent, celui du praticien orienté solution est résolument tourné du côté de l’émancipation et donc du devenir.


Au plaisir de continuer de partager avec vous.



Bibliographie


o J. Gergen, K, Constructionnisme social : une introduction, Delachaux&Niestlé, 2001

o De Shazer, S., Clés et solutions, Satas, 1999

o De Shazer, S, Les mots étaient à l'origine magiques, Satas, 1996

o De Shazer, S., Différence, Satas, 1996

o De Shazer, S, Explorer les solutions en thérapie brève,

o Paul Watzlawick, l’invention de la réalité, Points, 1996

o Paul Watzlawick, John Weakland, Richard Fischer, Richard Fisch, Changements, Paradoxes et psychotherapie, seuil, 2014

o Paul Watzlawick, Don D Jackson, Une logique de la communication, Seuil, 2014

o Paul Watzlawick, John Weakland, Sur l’interaction, Seuil, 2003

o Steve de Shazer, S. (1989). Resistance Revisited. Contemporary Family Therapy 11(4), 227–232

o Berger et Luckmann,La construction sociale de la réalité, Colin, 1966

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